Ici comme dans plusieurs autres pays, l’agriculture est devenue une industrie qui requiert des moyens de plus en plus importants. Les petites fermes familiales sont peu à peu remplacées par de grandes entreprises mécanisées, occupant de grandes superficies et nécessitant d’importantes quantités d’intrants chimiques.
Le Recensement de l’agriculture indique que, entre 1991 et 2011, le nombre de fermes au Canada a diminué de 27 %, passant de 280 043 à 205 730, tandis que la superficie agricole moyenne a augmenté de 30 %, passant de 598 à 778 acres.
En 2011, selon Statistiques Canada, la valeur moyenne du capital agricole (incluant terres, bâtiments, machinerie et animaux) s’élevait à 1 649 432 $ au Canada et à 1 168 449 $ au Québec. La tendance semble être à la croissance, car au Québec, entre 2001 et 2011, le nombre d’établissements agricoles ayant un capital total supérieur à 2 millions $ a presque triplé.
D’autre part, une récente étude de l’IREC nous apprend que le taux d’endettement moyen des établissements agricoles québécois se situe à 26 %, mais varie selon le type d’exploitation : par exemple, 18% pour les grands cultures, 31 % pour la production laitière et 44 % pour la production porcine.
De plus, les grandes exploitations étant largement mécanisées, le coût du carburant requis pour faire fonctionner les tracteurs et la machinerie représente une dépense significative. À cela s’ajoutent les coûts des engrais, pesticides et herbicides, eux aussi importants.
Ces données nous portent à croire que pour devenir aujourd’hui agriculteur, il faut disposer d’un bon capital ou être particulièrement téméraire. Pourtant, des gens font encore le pari d’établir avec peu de moyens une petite ferme permettant autant de les faire vivre que de nourrir sainement leurs concitoyens. Un exemple éloquent se trouve aux Jardins de la Grelinette.
Depuis une dizaine d’années, Jean-Martin Fortier et Maude-Hélène Desroches exploitent cette micro-ferme située dans le sud du Québec. Sur une superficie de 0,8 hectare, ils cultivent biologiquement une trentaine de légumes.
Ils ont fait plusieurs choix qui ont permis à leur ferme d’être rentable malgré sa petite taille et de procurer à leur famille un revenu raisonnable et de bonnes conditions de vie. Ainsi, en choisissant de cultiver principalement manuellement, ils ont réduits très significativement les investissements initiaux. Selon Jean-Martin Fortier, il est possible de démarrer une telle exploitation avec moins de 40 000 $ de matériel, montant qui inclut une serre, une chambre froide, un motoculteur, un système d’irrigation et les outils ; en comparaison, un tracteur neuf peut facilement coûter aujourd’hui plus de 100 000 $. Bien évidemment, la taille des jardins (moins d’un hectare dans leur cas) limite aussi l’investissement requis pour l’achat de la terre.
Par contre, pour tirer le maximum d’une petite surface, nos maraîchers ont recours à la culture bio-intensive ; sans entrer dans les détails techniques, disons que celle-ci permet d’optimiser plusieurs opérations requises par la culture. Ils choisissent aussi les légumes produits en fonction de leur rendement, retenant ceux dont le prix de vente est le plus intéressant par rapport au cycle de production, à la superficie et au travail requis.
Les maraîchers de la Grelinette privilégient également la vente directe, au travers de circuits courts, par le biais de l’agriculture soutenue par la communauté (1), les marchés locaux et les kiosques à la ferme. En supprimant les intermédiaires, le producteur augmente de beaucoup ses revenus, car la distribution et la vente au détail représentent une marge allant de 50 à 75 % du prix payé par le consommateur.
Finalement, une grande partie du succès de cette fermette s’explique par une bonne gestion. Le néophyte l’ignore souvent, mais la production maraîchère nécessite la planification précise et le suivi serré de nombreuses opérations. La quantité, la qualité de la production et le rendement final de l’exploitation dépendront pour beaucoup de la gestion efficace de ces différentes tâches.
On peut effectivement parler de succès dans le cas des Jardins de la Grelinette. Au cours de sa saison de production de 21 semaines, la fermette nourrit hebdomadairement plus de 200 familles. En plus de fournir des légumes biologiques variés et de qualité, l’entreprise est rentable. Comme l’écrit Jean-Martin Fortier : « Après dix années d’expérience en culture maraîchère biologique sur petite surface, je suis en mesure d’affirmer en toute certitude qu’un jardin maraîcher bien établi, soutenu par un plan de production rodé et de bons points de vente, peut générer annuellement entre 60 000 $ et 120 000 $ de vente sur moins d’un hectare cultivé en légumes diversifiés, et ce avec une marge bénéficiaire supérieure à 40 %. Un revenu favorablement comparable à plusieurs autres secteurs d’activités agricoles. » (2)
S’ils sont au départ inspirés de nobles idées, Jean-Martin Fortier et Maude-Hélène Desroches ne sont pas des rêveurs ; ils ont réussi à établir une exploitation maraîchère efficace et rentable tout en demeurant très modeste en regard des standards actuels de l’industrie agricole moderne. À notre époque où l’ambition première de la plupart des entreprises consiste à croître au maximum, où l’on s’enthousiasme à tout qualifier de super, méga et giga, il est encourageant, je dirais même rassurant de voir réussir une petite entreprise comme Les Jardins de la Grelinette, qui n’a aucune honte à être et à demeurer petite, qui vise avant tout à bien nourrir les gens autour d’elle et qui semble très bien s’en satisfaire.
1. Au Québec, Équiterre fait depuis près de 20 ans la promotion de l’agriculture soutenue par la communauté, au moyen de son réseau de Fermiers de famille.
2. Pour ceux qu’un tel projet intéresse, Jean-Martin Fortier a très généreusement partagé ses connaissances et expériences dans le livre Le jardinier-maraîcher. Cet ouvrage très bien écrit présente une foule d’informations pertinentes (choix du site, outils, travail du sol, fertilisation organique, semis, récolte, planification de la production…) qui guideront les apprentis maraîchers, mais captiveront aussi les jardiniers amateurs ne disposant que de quelques mètres carrés dans leur cour.
Bonjour
Je travaille comme nutritionniste en promotion de la santé à la Direction de la santé publique de la Montérégie. Mon travail vise à soutenir toute une équipe d’agent d’agents de promotion qui travaillent avec les MRC et les municipalités à la mise en place (entre autre) de système alimentaire sain et durable sur les territoires. Je participe à différents travaux: élaboration de PDZA , comité régional agroalimentaire. Votre travail est formidable et je ne manque jamais une occasion de promouvoir le soutien des micro fermes dont les retombées sont positives pour la santé humain, environnementale et sociale. Merci pour tout votre travail, votre persévérance et votre générosité à partager.