Une jeune fille aux grandes nattes m’a mis une grosse claque (virtuelle) l’autre jour. Greta Thunberg, Suédoise de 16 ans, fait depuis l’été dernier grève d’école un jour par semaine afin de manifester devant le parlement de son pays pour protester contre son inaction climatique.
Voici ce qui m’a le plus touchée : « Vous dites que vous aimez vos enfants par-dessus tout, mais vous volez leur avenir sous leurs propres yeux. » Ouch!
Greta a raison : si je veux que ma fille ait un avenir, c’est à dire de quoi se nourrir, se loger se chauffer et être en sécurité lorsqu’elle sera adulte, je ne peux pas continuer ainsi, NOUS ne le pouvons pas. Alors que je sais qu’il faudrait presque 5 planètes si tout le monde consommait comme le Canadien moyen, la question est : suis-je prête à réduire les ressources que j’utilise de 80%? Pourquoi aurais-je droit de profiter de ce qui détruit les chances de survie de ma fille, de Greta et de tous les autres, surtout d’ailleurs ceux qui utilisent moins que leur juste part?
Greta se concentre sur la menace que posent, de notre vivant, les changements climatiques. Elle a probablement connaissance de la convergence d’autres menaces existentielles sur notre civilisation : pic pétrolier à l’approche (que ce soit pour raisons géologiques ou financières), ressources vitales en voie d’épuisement (phosphore, sols fertiles, eau), vastes migrations causées notamment par la montée des eaux…
Ce n’est pas la technologie qui va « nous sauver », même si cette pensée me permettrait de me dédouaner quelque temps de ma responsabilité. Ce qui peut encore sauver nos enfants est en dedans de nous.
Alors voilà ce que je fais maintenant que Greta m’a donné le salutaire coup de pied au derrière. Je prends dans une main le gros baluchon de mes contradictions et de mes petitesses de citoyenne d’un pays riche, dans l’autre main celle de ma fille. Et je l’entraîne en dehors du chemin tracé tout droit. Je me sens un peu stupide sur le coup, car absolument rien dans la société ne m’encourage à faire les gestes qui augmenteraient les chances de survie de nos enfants : réduction drastique de la consommation, entraide plutôt que compétition, célébration du vivant plutôt que de l’argent. Je réalise tout ce qu’il me reste à apprendre, moi qui ai pourtant un diplôme universitaire: savoir faire des choses concrètes et utiles, résister aux jugements et aux découragements des autres, avancer même si l’issue est incertaine.
D’ici, je vois maintenant clairement que la maison brûle et que la porte de secours débouche sur le vide. Je vois aussi que nous sommes quelques-uns à en être sortis et à avancer sur ce chemin non tracé. C’est très possible que l’incendie nous rattrape, que la violence et le chaos des années à venir nous balaient, mais patiemment, humblement et sans certitude de mener les enfants à bon port, nous avançons. Nous nous entraidons car nous sommes encore si peu nombreux, et tout empêtrés de notre confort, paralysés par nos peurs de quitter ce système injuste et mortifère mais qu’au moins nous connaissons.
Parfois je m’arrête et je veux retourner là-bas, le temps d’une virée shopping, d’un « petit » voyage en avion ou d’une soumission de façade à ce que nous persistons à appeler démocratie. En fait, une pieuvre qui enserre chacun de nos cous en nous murmurant de ne pas nous rebeller, car « c’est comme ça, on n’y peut rien ». On recommande d’utiliser des poisons sur la base d’études biaisées promues par des ministres trop contents de faire partie du cercle des Élus; ceux qui ont parfois une pensée condescendante pour ce bon peuple qui ne comprend rien à la « réalité », alors que les lobbies, eux, leur montrent leur version de la réalité, discrets cadeaux et tapes dans le dos à l’appui.
Et là je m’imagine me chicanant avec ma fille dans quelques années, elle devenue adolescente, peut-être avec le même regard acéré et désillusionné que Greta. « Mais qu’as-tu fait tout ce temps-là pour éviter ces catastrophes ? ». Et là je me vois lui dire : « Mais on nous disait que c’était comme ça… qu’il n’y avait pas d’alternative… Et presque personne ne bougeait… Et, attention, je votais!!!… J’ai même signé quelques pétitions! » Très sincèrement si j’étais elle à ce moment-là, je ne trouverais rien d’autre à dire que : « Maman, tu es pathétique. Tu m’as laissé tomber. »
Greta dit à Davos, aux leaders baignant dans l’auto-satisfaction : « je ne veux pas de votre espoir. Je veux que vous paniquiez. Je veux que vous ressentiez la peur que je ressens tous les jours. » Nous les adultes, englués dans ce système et avec des dettes à rembourser, voudrions plaider en lui expliquant qu’on va perdre nos jobs si on ne soutient pas la Croissance. Greta n’en a rien à faire de nos excuses. Alors il nous faut imaginer AUTRE CHOSE – complètement autre chose. Un monde où on ne dépend pas d’une job pour survivre. Où nous renonçons à l’idée de retraite qui dépend d’un bon rendement obtenu en exploitant les autres et la planète. Un monde où, descente énergétique oblige, il faudra travailler de nos mains et on ne sera pas beaucoup derrière un ordinateur toute la journée. Elle le sait bien, Greta, que ce monde s’en vient de gré ou de force – elle l’a dit. Dans les 10, 20 prochaines années? Pourquoi restons-nous plantés là au lieu de paniquer?
C’est la nuit et notre petit groupe avance vers une faible lueur à l’horizon; même si c’est très loin et que je suis assaillie par le doute, je pense vraiment que c’est le seul espoir – si on veut que le plus de monde possible s’en sorte. Je sais bien qu’en quittant cette maison c’est comme si je lui avais donné un coup de pied, et que si nous sommes trop à la quitter et à lui taper dessus, elle s’effondrera. Mais de toute façon, coups de pied ou pas, on entend déjà sa charpente gémir, le basculement n’est plus très loin. Ceux qui nous promettent une « transition en douceur » et sans sacrifice nous racontent des histoires, ou se mentent à eux-mêmes! Alors je cale bien le gros baluchon qui me ralentit car il contient mes habitudes, mes anxiétés et mes minables excuses, et je me concentre de toutes mes forces sur ce qui devrait vraiment, et uniquement compter : la chaleur de la petite paume de ma fille. Je suis loin d’être parfaite, j’en fais plein des erreurs et mon ego me joue des tours, mais je veux pouvoir gagner le droit que dire que j’aime vraiment ma fille plus que tout et ça, ça passe par beaucoup d’efforts, d’essais-erreurs, d’humilité et de sacrifices. Ça vaut la peine.
Sylvie Robert
PS : merci Greta.
Merci Sylvie de ce rappel salutaire. À cet égard, je suggère quelques lectures ou vidéos complémentaires, particulièrement au sujet de Greta Thunberg, ses interventions, des réactions critiques et les réponses de Greta à celles-ci.
D’abord la chronique de Josée Blanchette dans Le Devoir du 15 février 2019 («La grève des ventres»):
https://www.ledevoir.com/opinion/chroniques/547912/une-suedoise-nous-jette-la-verite-au-visage?utm_source=Le+courrier+des+id%C3%A9es&utm_campaign=403d905f65-EMAIL_CAMPAIGN_2019_02_15_09_19&utm_medium=email&utm_term=0_14c415178d-403d905f65-115146005
Puis une excellente conférence TED de Greta Thunberg (Suède) (vidéo de 10 minutes):
https://www.youtube.com/watch?v=EAmmUIEsN9A
Une analyse critique de l’utilisation (possible?) de Greta Thunberg par le capitalisme vert:
https://reporterre.net/Le-capitalisme-vert-utilise-Greta-Thunberg
Et la réponse personnelle de Greta aux critiques qui s’accumulent contre elle:
https://reporterre.net/La-jeune-militante-du-climat-Greta-Thunberg-repond-a-ses-detracteurs
Dominique Boisvert
Merci beaucoup pour toutes ces références Dominique!
Je crois qu’il faut faire preuve de prudence avant de placer Greta sur un piedestal. Elle a 18 ans maintenant, donc majeure. Elle risque de ne pas obtenir la complaisance ou l’indulgence qu’on accorde souvent à une mineure. Elle devra répondre aux critiques qui sont nombreuses et pertinentes.Et on est est en droit d’obtenir de vraies réponses. Exemple : pour le bien de l’environnement, est-il préférable que les pays pauvres restent pauvres? Ex : Sait-elle que le rêve d’une jeune Africaine est d’obtenir le niveau de vie de Greta et de ses amis? Attention, la critique risque d’être ciglante.
Si nous taxons les riches, ils se débrouilleront pour tricher comme ils le font toujours en délocalisant leurs entreprises vers des pays moins regardant, ils rachètent les parts à polluer des plus pauvres.
Les avions et voyages sont de grands pollueurs, que ce soit pour le tourisme (les gens n’ont qu’à faire du tourisme autour de chez eux, ou à pieds ou à vélo, à cheval…) et les chefs d’entreprises qui nous font payer (dans nos impots) leurs dépenses sans compter qu’ils passent en frais dans leurs comptes et les déduisent des revenus pour faire baisser la part des bénéfices imposables… eux peuvent polluer sans compter, ça passe en frais et c’est des revenus en moins pour l’état donc pour la collectivité.
Et le numérique qui pollue énormément, avec des sites énormes pour collecter les données que nous engrangeons dans les « nuages », les antennes 5G, et la surconsommation, la mode, l’obsolescence programmée…
on fait culpabiliser le peuple mais ce sont ceux qui font les lois qui sont coupables car ils ont les moyens d’inciter le peuple à faire ce qui est bon pour la planète.
c’est vrai que chacun est responsable dans chaque acte d’achat, car acheter ou ne pas acheter peut être un acte politique